Joanne Ho – Celebrate the Joy of Swimming
Un parallèle de cet instant sur la plage.
Après avoir été bercée par les allers et venues des vagues, de longues minutes passées en étoile, flottante, à digérer, à regarder le ciel et écouter, les oreilles immergées, le fond marin et la vie d’au loin en sourdine. Après cette attente réconfortante, un peu absente du monde, quelques temps. Après la longue nage dans l’océan.
La tête reprend vie, réveille le corps engourdi, il est temps de sortir, de rejoindre la terre, les autres, cette place qui attend, le mouvement.
Seulement c’est l’océan, et pour poser un pied sur la plage, il faut d’abord passer le mur des remous. C’est un pari, choisir la bonne accalmie, le juste entre-deux, une danse entre les éléments, prendre le bon élan.
Et il m’a fallu plusieurs reprises.
Fidèle à moi-même, j’ai couru d’abord pour misérablement m’affaler quelques mètres plus loin dans le premier rouleau, dans la machine à laver, j’ai avalé de travers, fait machine arrière, un peu sonnée, « les jambes en godillon », repliée dans mes quartiers. De la même manière, une deuxième fois, et puis d’autres, j’ai recommencé. En vitesse, comme si de rien n’était, comme si le corps était tout frais, en trottinant dans la baïne encore, sans regarder en arrière non plus, rien je vous dis, rien, c’est tout bon, il n’y a rien eu. Le résultat fût le même. Echec et tasse, retour aux pénates.
Finalement rester en surface en terrain hostile était plus simple, je savais nager, j’apprenais depuis toute petite alors je me sentais mieux armée. Mais là je fatigue, je m’épuise, je ne sais pas, je ne sais plus.
On m’avait dit que l’après n’était pas simple mais ainsi, je n’aurais pas cru. Le gros de l’effort, étant passé, la suite me semblait formalité.
Les copains de plage se sont levés, ont rangé momentanément les mots croisés, arrêté les ballons de volley, ils me regardent, m’encouragent mais ne peuvent m’aider. Je les rassure d’un petit coucou et d’un grand sourire, c’est bon, tout va bien, j’arrive, je maîtrise, on va pas appeler David Hasselhoff quand même, vous en faites pas, j’ai pas besoin, je vais y arriver ! On s’amuse de mes roulades, je ris moi-même de mes infructueuses tentatives, du Stérimar dans les narines, du sable dans les dents, j’arrive, j’arrive, un petit moment…
Je mentalise des techniques mais bien sûr, je veux aller trop vite. Chaque coup de fatigue amène ses doutes. Vais-je y arriver ? Ne suis-je pas déjà trop fatiguée ? Je pourrais la demander bien sûr, cette main tendue, cette perche de secouriste mais je veux faire seule, vous comprenez ?
Sur la plage, ils sont moins nombreux à m’attendre déjà, je le vois bien, je ne leur en veux pas, ils continuent leur vie, je comprends bien. Mais ceux qui restent valent tout l’or de mon monde, alors je m’accroche, je me relève, je ne lâche pas, je retente, j’arrive, promis, ne vous en faites pas, je vous dois bien ça.
J’émerge aujourd’hui, je crois. Je tousse encore, mais je crois que c’est bon, j’attends de reprendre complètement mes esprits, debout, les mains en équerre, les yeux au sol, les pieds s’enfonçant dans les sables mouvants, encore un peu en équilibre. Je lève la tête, on me sourit, on dit que c’est la bonne cette fois-ci ?