Manuela Marques
Sortie de boulangerie. Attente au feu piéton. Les moteurs passent et enfument la voie.
A côté de moi, un « vroum vroum » concentré promène une voiturette rouge le long de la bordure. La mission semble importante et absorbe complètement son attention. Je souris à cette tête blonde et à sa maman, tatie, nounou que sais je encore. Toujours avec ces œillères, attelé à sa tâche, ce petit garçon lâche la main protectrice pour se baisser et ramasser Flash Mc Queen qui vient de se faire la malle dans le caniveau. Quand pétarade et passe, à toute relative allure, une vieille Motobécane. Tout ce qu’il y a de plus inoffensif, de mon point de vue, mais à vous réveiller un sourd, à vous transformer la chaussée en une rivière infestée de piranhas et me met le petit loup dans tous ces états.
Je m’accroupis et je m’entends lui répondre… « Oh, c’est normal que tu pleures, ce n’est pas grave, tu as eu peur, ne t’en fais pas… »
Alors ça me fait réfléchir. A ce sentiment, cette émotion qui surgit par la surprise alors que nous étions occupés à toute autre chose. J’aurais aimé lui dire, qu’elle allait passer en grandissant, cette sensibilité. Mais j’aurais menti, la peur persiste quand on devient adulte. Pire, elle nous conditionne.
Elle est transformiste, devient un mal, un danger, réveille l’instinct, l’hormonal, le viscéral, se cache dans ce qui nous est étranger, ce qui est différent, ce qui nous impressionne, ce qui nous insécurise.
Le pire pourtant n’est pas l’autre, n’est pas l’ailleurs, n’est pas l’inconnu, mais se meut en nous, en ce qui nous vient du dedans. Quand ce que l’on croyait stable nous trahit. Quand ce que l’on pensait sous contrôle nous échappe. Quand le corps sens une défaillance et envoie un signal à la tête. Quand un détail, un élément, la vie nous rappelle à notre narcissisme et nous chuchote que nous ne sommes pas les maîtres du monde, aussi égocentré soit-il.
Et la peur, alors, comme une tache d’aquarelle noire, se propage, insaisissable.
Et pétrifie. Condamne à la position cadavérique. Réveille la nuit, quand elle n’empêche pas de s’endormir. Hausse les cœurs, quand elle ne les fait pas dégringoler. Peur d’alerte ou sans objet. Peur du vide, de l’abandon, peur du néant. Peur très sombre ou plus teintée. Peur floue ou bien achalandée.
Alors que faire ? Stagner, s’agiter ? La faire disparaître ou la majorer ? La refuser ou l’accepter ?
J’ai choisi, j’y travaille, c’est mon expérience, d’accepter son existence pour mieux la considérer, la remettre à sa juste taille, à sa juste place et mesure. J’ai cherché la manière dont les académiciens la qualifie. Un sentiment de forte inquiétude, d’alarme, en présence ou à la pensée d’un danger, d’une menace. Un état de crainte, de frayeur dans une situation précise. (Larousse, 2010) Et face à elle, le courage. Force de caractère, fermeté que l’on a devant le danger, la souffrance ou dans toute situation difficile à affronter. (Larousse, 2010)
Alors avoir du courage.
Se regarder soi, sans fard. Regarder l’autre, dans les yeux, sans le défier, oh non, simplement le rencontrer, sans présupposer qu’il me menace. Regarder le monde sans le craindre, oser en prendre le risque. Remettre les pendules au bon fuseau horaire, sans s’arrêter dans le passé ou l’appréhension du futur.
Etre courageux, c’est sortir du lit, c’est se battre s’il le faut, c’est lâcher prise aussi. C’est s’inscrire dans le présent. C’est accepter ce qui est, c’est sourire, c’est tendre la main, c’est courir à la rencontre, c’est sortir dehors, découvrir, c’est tenir debout mais c’est se relever surtout, c’est dire oui. C’est être vivant finalement.
De toutes les émotions, de tous les personnages de Vice Versa, la peur, c’est ce bonhomme instable, qui gesticule à tout bout de champ, à juste titre parfois mais sans raison apparente le plus souvent. Celui qui agite les bras, saute dans ceux des autres mais qui est surtout très drôle. Comme ils sont forts chez Pixar.
Tu vois, mon grand, on peut rire de tout, même d’elle, c’est pas si grave la peur.
Désormais, peut-être que tu feras plus attention, à ne plus te pencher sans regarder la route, à ne pas traverser en dehors des clous, à ne pas te mettre en danger, ou peut-être que rien du tout, quand tu auras vu que la mobylette n’était pas un grand monstre, tu oublieras et passeras vite à autre chose. Et ce serait bien ainsi. Parce qu’être vigilant, c’est bien, ça maintient en vie depuis des millénaires. Mais avoir trop peur non, ça pourrit.