A cet homme du feu rouge, j’aurais aimé lui dire tellement de choses.
L’inviter dans un café, qu’on se pose, qu’on échange, qu’on discute.
A cet homme du feu rouge, j’aurais aimé lui dire qu’il existe des mauvaises conduites bien plus graves que mon coup d’œil à l’heure qu’indiquait mon téléphone alors que je rétrogradais ma vitesse.
A ce motard moustachu, comprimé dans son casque et aussi rouge que le tricolore, j’aurais aimé lui dire que l’attitude moralisatrice et l’époque pan-pan-cul-cul étaient révolues. Que ma petite incivilité ne valait pas la sienne, que son « grosse connasse » il pouvait se le garder voire en faire ce qu’il voulait, bien plus si cela l’excitait. Que cette bataille d’ego n’en valait pas la peine.
Il fut un temps où je me serais sentie traversée, percutée de plein fouet, me serais retrouvée fautive, mauvaise élève, prise en flagrant délit. Mais entre temps, j’ai grandi. Par curiosité quand même, j’aurais aimé lui demandé s’il en aurait fait de même si un Y se cachait dans mes gènes.
A cet homme qui m’a craché sa violence en pleine face, son tutoiement, ses obscénités, j’ai renvoyé un léger sourire. Bien sûr cela n’a dû qu’attiser sa haine, sa colère, sa démesure. Il y a peut-être lu de l’arrogance, ce n’était pourtant que du détachement. Cette posture d’observation de ta propre situation, qui te permet de voir que celui que tu as en face de toi, probablement meurtri par sa propre histoire, se défoule de manière disproportionnée sur ta poire, à défaut de pouvoir le faire ailleurs et se place en justicier pour mieux se rassurer.
A cet homme qui, en regardant les sièges auto à l’arrière de ma voiture, a souhaité à mes enfants (fictifs), mon homme et mon frère (fictif aussi) de « crever dans un accident de voiture à cause d’un téléphone », j’ai intérieurement murmuré que la vie m’avait déjà suffisamment touchée et la route fait déjà suffisamment de dégâts dans mon entourage.
Et à la vie qui m’a testée aujourd’hui, je dis « eh meuf, je viens de passer une semaine avec Layla, je n’ai pas essoré l’éponge à ce point pour la laisser se remplir de ce venin ».
Et tu vois, en vrai, je me confie à toi qui me lit là, je n’ai même plus envie d’inviter ce mec dans un café pour qu’on discute de sa façon d’être, des petites morts qu’il peut provoquer par ses mots, car les mots sont d’une puissance inouïe, non non, je n’ai plus envie de perdre ce précieux temps à me battre pour devenir une sauveuse des âmes perdues, des mecs énervés parce qu’ils sont tristes, qui deviennent des connards par excès de puissance, non non, j’aimerais simplement lui dire qu’on est tous responsables de ce que l’on est et libre de choisir celui que l’on veut être.